| » yeahz 
    Messages: 1746
			Localisation: Poitiers | 
          
            | Lun 18 Juin, 07 15:04, |   |  
            | J'arrive où je suis étranger 
 
 
 
 Rien n'est précaire comme vivre
 Rien comme être n'est passager
 C'est un peu fondre comme le givre
 Et pour le vent être léger
 J'arrive où je suis étranger
 
 Un jour tu passes la frontière
 D'où viens-tu mais où vas-tu donc
 Demain qu'importe et qu'importe hier
 Le coeur change avec le chardon
 Tout est sans rime ni pardon
 
 Passe ton doigt là sur ta tempe
 Touche l'enfance de tes yeux
 Mieux vaut laisser basses les lampes
 La nuit plus longtemps nous va mieux
 C'est le grand jour qui se fait vieux
 
 Les arbres sont beaux en automne
 Mais l'enfant qu'est-il devenu
 Je me regarde et je m'étonne
 De ce voyageur inconnu
 De son visage et ses pieds nus
 
 Peu a peu tu te fais silence
 Mais pas assez vite pourtant
 Pour ne sentir ta dissemblance
 Et sur le toi-même d'antan
 Tomber la poussière du temps
 
 C'est long vieillir au bout du compte
 Le sable en fuit entre nos doigts
 C'est comme une eau froide qui monte
 C'est comme une honte qui croît
 Un cuir à crier qu'on corroie
 
 C'est long d'être un homme une chose
 C'est long de renoncer à tout
 Et sens-tu les métamorphoses
 Qui se font au-dedans de nous
 Lentement plier nos genoux
 
 O mer amère ô mer profonde
 Quelle est l'heure de tes marées
 Combien faut-il d'années-secondes
 A l'homme pour l'homme abjurer
 Pourquoi pourquoi ces simagrées
 
 Rien n'est précaire comme vivre
 Rien comme être n'est passager
 C'est un peu fondre comme le givre
 Et pour le vent être léger
 J'arrive où je suis étranger
 
 Louis Aragon
 |  
            | _________________
 Chez oim
 |  |